Que peut-on apprendre de l’État Islamique ?

Cet été, l’État Islamique a fait une arrivée fracassante dans l’actualité et dans nos pensées. Des villes majeures d’Irak et de Syrie conquise. Des minorités mises en fuite. Des captifs vendus comme esclaves, des otages occidentaux décapités, tout cela nous choque et nous atteint. Peut-être plus troublant encore, le phénomène des recrues de l’EI. Des jeunes occidentaux ou des immigrants qui semblent bien intégrés, avec la vie devant eux, laissent tout pour aller se battre avec l’EI [1. Qu’on se le dise, en dénonçant l’EI, je ne cible pas les musulmans dans leur ensemble ; beaucoup de musulmans souffrent également des exactions de l’EI. Je ne suis pas d’accord avec tout ce que l’Islam affirme, mais je lui reconnais le droit de ne pas être jugé en fonction de ses pires représentants.]. On est un peu rassuré de voir que plusieurs déchantent, et après quelques mois souhaitent rentrer chez eux en laissant les combats et l’endoctrinement derrière. Cependant, le phénomène a de quoi nous poser des questions. Dans cet article, j’aimerais soulever quelques points auxquels le phénomène de l’EI devrait nous faire réfléchir.

Toutes les idées ne se valent pas

On entend souvent dire de nos jours qu’il n’y a pas de vérité absolue, que toutes les idées se valent, que chacun se fait sa propre vérité. On pense que si une opinion nous fait du bien, personne ne peut la remettre en cause. On dit encore parfois que toutes les religions visent le même but, en sous-entendant qu’il ne vaut pas la peine de parler en faveur de l’une ou de l’autre. Nous pensons peut-être que cette attitude détachée est celle qui permettra une cohabitation pacifique de tous, dans l’harmonie. L’État Islamique nous prouve que cela est faux. Leurs idées et conceptions religieuses les poussent vers des buts et des méthodes qu’on ne peut que condamner. Si tout se vaut, les conceptions de l’EI ont la même légitimité que celles d’une société occidentale sécularisée, d’une communauté monastique catholique, d’un musulman soufi pacifiste ou d’un groupe de méditation bouddhiste. L’idée d’ajouter « tout se vaut, tant qu’on respecte l’autre » est une pirouette, parce que c’est déjà imposer le respect comme norme universelle et non négociable. À ce moment, le respect est une idée supérieure aux autres, qui juge les autres. On dit qu’il faut juger les croyances à l’acceptabilité de leurs conséquences, mais c’est déjà en soit un positionnement sur le but de la croyance, et cela part d’une vision de ce qui est bon[1. Voir également  notre article La religion est source d’intolérance et de conflit ! ]. On n’y échappe pas : il faut se positionner sur les idées qui sont véridiques et préférables aux autres.

La nature a horreur du vide de sens

Revenons maintenant à nos jeunes volontaires occidentalisés. Qu’ont-ils laissé derrière eux ? Une société plutôt stable, la possibilité d’un emploi, une certaine intégration et un certain confort[1. D’accord, tout cela n’est pas si assuré de nos jours, on connaît le chômage des jeunes, diverses formes d’instabilité, une difficulté à former une société unie.]. Mais aussi, ils ont laissé une société qui vit en bonne partie dans l’instant présent, la consommation, et une grande difficulté à construire un sens. On a coupé le rapport au passé (dépassé!), l’avenir est incertain et l’éternité hors de question[2. Voir l’intéressant article : Les jeunes et le désir de djihad, Rinny Gremaud, le Temps, 9 Octobre 2014].

À l’inverse, l’EI propose un engagement collectif, une possibilité de changer le monde de manière durable, et des promesses d’éternité. Pour quelques-uns, le deal semble valable. Ce que cela doit nous apprendre, c’est qu’on ne peut pas sans risque évacuer tout discours sur le sens.L’homme cherche un sens à son existence, cherche la signification de ses actes, cherche une espérance durable. Si nos sociétés n’ont rien à offrir qui ressemble à une vérité méritant un engagement, d’autres en proposeront.

On a également tendance à garder les réflexions sur le sens dans la sphère privée, en interdisant d’une certaine manière qu’elles fassent l’objet d’un débat et aient des conséquences. Cela ne convient pas non plus, parce que les idées ont toujours des conséquences, et qu’elles trouveront le moyen de se propager. Dès lors, plus le débat est ouvert, plus il y a de chances que les meilleures idées l’emportent.

Retrouver un débat sain

Il nous faut transmettre des valeurs, avoir un contenu de pensée qui occupe le terrain avant que des groupes comme l’EI ne s’y mettent. Cependant, il ne serait pas bon de (re-?)venir à un système où l’État/la société impose un système de valeurs que l’on n’a pas le droit de contester. Au contraire, je crois que l’on a besoin de retrouver une culture du débat, où on croit que les questions du sens et des valeurs sont importantes, et valent la peine d’être abordées. Et non seulement qu’elles peuvent être abordées, mais aussi qu’elles doivent faire l’objet de discussions argumentées. La liberté d’opinion doit être préservée, mais il faut aussi donner les moyens de se former une opinion [2. Voir aussi notre article Partager sa foi constitue-il un acte de prosélytisme ?] . Il faut prendre assez au sérieux ces questions pour se donner la peine de chercher la vérité, et que tout ceux qui pensent avoir des informations les échangent et les évaluent ensemble, et dans l’arène publique[3. L’article « Chacun sa vérité », le chemin le plus sûr vers la guerre du site repensez-vous.fr présente également une réflexion sur l’importance d’un débat ouvert pour la recherche de la vérité.] .

Bien sûr, comme chrétien je pense que la foi chrétienne bien comprise offre le nécessaire : un lien à l’histoire, une vision pour l’avenir, une espérance pour l’éternité, avec une orientation vers l’amour et contre violence et contrainte. J’appelle au débat comme quelqu’un qui pense tout avoir à y gagner, mais finalement ce devrait être le cas de tout ceux qui sont réellement convaincu d’avoir quelque chose à dire.

©Jean-René Moret, Octobre 2014

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